Prise de position de l’ACCAP sur le projet de loi 162 de l’Ontario, émanant d’un député


Date de parution : 10/18/2017
Personne(s)-ressource(s) : Susan Murray

L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) est une association à adhésion libre, et les sociétés qu’elle représente détiennent 99 % des assurances vie et maladie en vigueur au Canada. La contribution en Ontario des assureurs de personnes, sur le plan économique et social, est notable. L’industrie emploie près de 70 000 Ontariens, dont 27 600 dans des postes administratifs ou de gestion, et 40 900 comme agents travaillant dans des bureaux ou des agences situés dans la province. Notre industrie couvre en outre quelque 11 millions d’Ontariens et verse annuellement près de 40 milliards de dollars de prestations aux résidents de la province. Globalement, les assureurs vie canadiens sont présents dans plus de 20 pays, et l’actif investi à l’appui de leurs activités à l’étranger s’élève à 855 milliards de dollars. Trois sociétés canadiennes figurent parmi les 15 plus grands assureurs vie au monde, deux d’entre elles étant situées en Ontario.

Dans les rachats de contrats d’assurance vie, c’est-à-dire le commerce de contrats d’assurance vie, l’assuré cède à un tiers tous ses droits au titre du contrat en échange d’une somme d’argent, qui est en général considérablement moins élevée que le capital assuré du contrat. Au Canada, seulement quatre provinces n’interdisent pas expressément le commerce de contrats d’assurance vie (la Saskatchewan, le Québec, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick). À l’heure actuelle, ce commerce est strictement interdit dans toutes les autres provinces, y compris en Ontario.

Le projet de loi 162, Loi modifiant la Loi sur les assurances pour autoriser les rachats de polices d’assurance-vie, vise à modifier l’article 115 de la Loi sur les assurances de l’Ontario afin de prévoir une exception à la règle actuelle qui interdit à quiconque n’est pas un assureur ou son agent dûment autorisé de faire le commerce de contrats d’assurance-vie. L’interdiction ne s’appliquerait pas à la vente d’un contrat d’assurance-vie si le rachat est effectué auprès du titulaire initial de la police et si celui-ci est détenu depuis au moins 36 mois. Le projet de loi prévoit en outre un délai de réflexion de 10 jours durant lequel la convention de vente du contrat d’assurance-vie peut être résiliée.

Le secteur des assurances de personnes n’appuie pas les amendements proposés dans le projet de loi 162 ni aucune exception à l’interdiction stipulée à l’article 115, car de telles mesures exposeraient un segment de la population en grande partie vulnérable (les personnes âgées titulaires de contrats d’assurance) à des risques d’exploitation financière. Avant de modifier la loi actuelle, nous exhortons les décideurs à examiner avec soin les conséquences regrettables, décrites ci-après, qu’entraînerait l’autorisation du commerce de contrats d’assurance vie et à entreprendre une véritable consultation de toutes les parties prenantes sur cette question très importante.

Marché restreint pour les rachats de contrats d’assurance vie au Canada

Les partisans du commerce des contrats d’assurance vie soutiennent que le rachat offre aux consommateurs qui n’ont plus besoin de leur assurance une autre solution que la déchéance du contrat. En fait, le marché potentiel et la demande de rachats de contrats d’assurance vie sont extrêmement restreints au Canada, car peu de personnes répondent aux critères imposés par les sociétés qui offrent ces rachats; dans bien des cas, le type de protection ne convient pas ou l’assuré est en trop bonne santé ou trop jeune.

Les partisans affirment qu’entre 80 % et 90 % des contrats d’assurance vie tombent en déchéance sans valeur de rachat; or, le pourcentage serait passablement différent si on n’incluait pas dans le calcul les contrats d’assurance temporaire, qui n’ont pas pour but de fournir une couverture permanente et qui, par conséquent, seraient exclus du marché des rachats de contrats d’assurance vie. Selon les renseignements que nous ont fournis nos sociétés membres, il semble que le taux de déchéance des contrats d’assurance permanente détenus durant une longue période soit extrêmement bas. Le marché potentiel et la demande de rachats de contrats d’assurance vie sont donc très restreints au Canada.

Possibilité de versement anticipé du capital-décès

L’auteur du projet de loi souhaite donner aux titulaires vieillissants la possibilité de vendre leur contrat d’assurance vie et d’utiliser les fonds obtenus pour payer leurs frais de subsistance. On avance aussi que le produit de la vente pourrait servir à payer des soins de santé.

De nombreux titulaires canadiens ont déjà accès à leur capital-décès de leur vivant. Cette pratique est apparue en 1988, quand un important assureur vie a pris l’initiative, pour des raisons humanitaires, de permettre le paiement anticipé de la prestation de décès en cas de maladie en phase terminale. D’autres assureurs lui ont rapidement emboîté le pas. Aujourd’hui, la plupart des sociétés d’assurance vie permettent aux assurés atteints d’une maladie en phase terminale de toucher, de leur vivant, une partie de la prestation de décès payable au titre de leur contrat d’assurance vie. En fait, les assureurs canadiens ont été les précurseurs de cette pratique, qui est maintenant répandue dans le monde entier. Bien que certains contrats d’assurance vie comportent une clause de versement anticipé de la prestation de décès, dans bien des cas cette possibilité n’est pas stipulée dans le contrat ou dans la législation. Elle est plutôt offerte volontairement par les assureurs vie, pour des raisons humanitaires.

Quel que soit le cas, la société d’assurance verse au titulaire un pourcentage du capital assuré de son contrat, après déduction des avances non remboursées, si la personne est atteinte d’une maladie en phase terminale et a besoin d’une partie du capital assuré de son contrat. Le reste du capital assuré est par la suite versé au bénéficiaire désigné, au décès de l’assuré. Contrairement aux rachats de contrats d’assurance vie, le versement anticipé de la prestation de décès n’entraîne pas la cession du contrat – et de la prestation de décès – contre seulement une partie du capital assuré. La valeur intégrale du contrat est versée à l’assuré et à ses bénéficiaires.

De plus, les prestations d’assurance sont généralement versées en franchise d’impôt, alors que le produit du rachat d’un contrat d’assurance vie est imposable et prive le titulaire initial d’un avantage fiscal.

Risques de fraude et d’abus

Les rachats de contrats d’assurance vie présentent un risque réel et important de fraude et d’abus pour les consommateurs. Aux États-Unis, où la pratique des rachats de contrats d’assurance vie existe depuis un certain nombre d’années, les cas de fraude et d’abus font partie intégrante de ce marché.

Actuellement, aux États-Unis, les rachats de contrats d’assurance vie sont proposés presque exclusivement aux personnes âgées, quel que soit leur état de santé. On présente cette pratique aux aînés comme un moyen d’accéder sur le marché secondaire à la « valeur » de leur contrat d’assurance vie dont ils n’ont plus besoin. Cependant, ces personnes ne sont pas en mesure de déterminer si elles font « une bonne affaire » et sont souvent susceptibles de se départir d’un bien important sans en saisir les conséquences.

Le marché américain des rachats de contrats d’assurance vie est fortement réglementé et certains organismes de réglementation ont dû consacrer une part considérable de leurs ressources à la surveillance de ce minuscule segment. Malgré cela, il demeure caractérisé par de nombreux cas de fraude et d’abus visant les consommateurs qui vendent leurs contrats d’assurance vie et les syndicats d’investisseurs formés pour racheter ces contrats, notamment la transmission d’informations insuffisantes et des paiements qui correspondent à une partie infime de la valeur du contrat.

L’expérience américaine soulève un autre problème, celui de la protection des renseignements personnels. Les entreprises qui rachètent les contrats d’assurance vie et leurs investisseurs sont rémunérés par le versement du capital-décès du contrat. Voulant être avisés sans délai en cas de décès pour pouvoir présenter immédiatement une demande de règlement à l’assureur, les nouveaux titulaires font un suivi serré de l’état de santé des personnes assurées. Pour cette raison, de nombreuses personnes se sont plaintes de l’insensibilité des sociétés qui rachètent les contrats d’assurance vie et estiment nécessaire de limiter les communications entre ces sociétés et les assurés.

Par ailleurs, les opposants font valoir que les personnes souhaitant investir dans les rachats de contrats d’assurance vie ne sont soumises à aucune norme et que, par conséquent, certains investisseurs sans scrupules pourraient être tentés de traiter les assurés de manière insensible (ou pire encore).

Le possible tort causé aux assureurs et aux investisseurs soulève aussi de grandes inquiétudes. En ce qui concerne les assureurs, le risque est qu’une personne – dans le but d’obtenir un contrat d’assurance vie et de le revendre – commette une fraude dans le cadre du processus de proposition en omettant de divulguer un fait important ou en faisant un déclaration fausse ou trompeuse pour obtenir l’assurance vie demandée ou pour payer des primes moins élevées. Quant aux investisseurs, les contrats d’assurance vie rachetés ne conviennent pas à toutes les personnes qui se voient proposer ce type de placement (par exemple, les retraités).

Il importe de souligner que les pressions exercées en faveur de l’ouverture du marché des rachats de contrats d’assurance vie émanent principalement des membres de ce secteur d’activité, qui y voient une source potentielle de profit, et non des titulaires de contrats. Nous demandons respectueusement aux décideurs de ne pas appuyer le projet de loi 162, pour les raisons énoncées ci-dessus et pour protéger les aînés de l’Ontario des torts que pourrait leur causer l’ouverture de ce marché.